Malheureusement, la France ressemble souvent plus à
une République Bananière qu'à une démocratie,
mais bon, l'idée est sympathique et le prix bas est bien appréciable.
Dans Les nouveaux chiens de garde, Serge Halimi
démontre, nombreux exemples à l'appui, que <<la
presse écrite et audiovisuelle est dominée par un journalisme
de révérence, par des groupes industriels et financiers,
par une pensée de marché, par des réseaux de connivence.>>
Quelques extraits de l'excellent brûlot de Serge
Halimi, juste pour vous mettre l'eau à la bouche, si vous ne l'avez
pas encore lu...
<< La pensée unique n'est pas neutre, elle n'est pas changeante
et il n'y en a pas deux comme elle. Elle traduit "en termes idéologiques
à prétention universelle les intérêts du capital
international", de ceux qu'on appelle "les marchés" (...). Elle
rêve d'un débat démocratique privé de sens puisqu'il
n'arbitrerait plus entre les deux termes d'une alternative. Céder
à cette pensée, c'est accepter que la rentabilité
prenne le pas sur l'utilité sociale, c'est encourager le mépris
du politique et le règne de l'argent.(...)
Franz-Olivier Giesbert, directeur de la rédaction
du Figaro interpelle M. Chirac:"Si la France en est là, n'est-ce
pas à cause de ses rigidités et, notamment, de la barrière
du salaire minimum qui bloque l'embauche des jeunes et des immigrés?"
(...)
Philippe Manière, l'un des rédacteurs en
chef du Point (...) [a déclaré en janvier 1995] "l'inégalité
des revenus, dans une certaine mesure, est un facteur de l'enrichissement
des plus pauvres et du progrès social">> p.46-47
On croirait un bêtisier des
journalistes, mais le livre de Serge Halimi ne se contente pas de citer,
il analyse aussi. Quant à Giesbert, qui me révulse habituellement,
je ne risque pas de réviser mon jugement sur lui en lisant sa question
à Jacques Chirac. Il veut quoi? Des barèmes de salaires?
Genre:
- Homme blanc d'âge mur :
5000F/mois
- Femme blanche d'âge mur
: 3000F/mois
- Jeune homme : 1500F/mois
- Immigré homme : 1000F/mois
Et la jeune femme immigrée?
Payée en droits de cuissage, peut-être?
Quant à Philippe Manière,
il doit faire ses mesures en microns. Ou alors il parle en catholique fervent
: "les pauvres seront les premiers au royaume de Dieu" ?
<<
Recevant Dominique Strauss-Kahn, le présentateur du journal télévisé
de TF1, Jean Claude Narcy, le sermonne : "Réduire le temps de
travail est une chose. Encore faut-il que les travailleurs acceptent de
baisser leurs salaires. Comment espérez-vous les en persuader ?"
Façonné malgré lui par le carcan néolibéral
ambiant, le téléspectateur jugea vraisemblablement qu'il
s'agissait là d'une question de bon sens. Et puis, peut-être,
il imagina : et si le journaliste avait choisi de formuler comme ceci la
fin de sa demande : "Encore faut-il que les détenteurs de
revenus du capital acceptent de rogner sur leurs rentes qui, toutes les
études le démontrent, ont fortement progressé depuis
quinze ans. Comment espérez-vous les en persuader ?". Le
temps d'un rêve, Dominique Strauss-Kahn eût été
désarçonné, l'économie serait redevenue pluraliste,
et TF1 aurait cessé d'être la chaîne de M. Bouygues.
>> p.47
<<
Sur France 2, Catherine Nay, également directrice adjointe d'Europe
1 et éditorialiste à Valeurs Actuelles et au Figaro Magazine,
expliqua la crise économique par une "extinction du désir
de consommer" : "J'étais dans un dîner : chacun
a restreint sa façon de consommer et on s'aperçoit qu'on
vit très bien [...]. [On peut] garder sa voiture deux ans de plus,
user sa robe un an de plus". >> p.48
Non mais je rêve ?!? Néanmoins,
c'est très instructif : Madame prends le pouls de l'opinion des
Français dans des "dîners" et trouve qu'on vit très
bien en restreignant sa façon de consommer ("mais oui ma chère,
les oeufs de saumon sont presqu'aussi fins que le caviar..., je l'ai lu
dans Madame Figaro."). Passe de SMICard à chômeur ou RMIste,
et tu verras "qu'on vit très bien". Ben voyons. Ah là là,
la crise économique est bien évidemment due à
ces bourricots d'ouvriers et de chômeurs qui ne consomme pas assez,
semble-t-elle vouloir ajouter...
<<Un
troisième journaliste interpelle Arlette Laguillier : "Vous
qui bouffez du patron..." Cette fois, c'est France 2, et François-Henri
de Virieu n'était pas catalogué à droite. Disons alors
que le jour où Jean-Claude Narcy et Claire Chazal s'entretiendront
avec Alain Madelin comme François-Henri de Virieu le fit avec Arlette
Laguillier, lorsque interrogeant l'enfant chéri du CNPF, ils préfaceront
leurs questions par "Vous qui bouffez du salarié...",
les choses auront peut-être commençé à changer.
>> p.56
Je ne vais pas passer ma nuit à
recopier le livre, il y a trop de passages dignes d'intérêt.
Ce livre fait 100 pages et se dévore comme un roman, même
si on connaît la fin et le sujet : un petit groupe de journalistes
omniprésents impose leur façon de voir les choses à
une profession dont la plupart des membres ne survit que de piges. Comme
cette poignée de journalistes surmédiatisés gagne
très bien sa vie et côtoie les industriels et "grands patrons",
et que les médias sont presque tous soumis à la pression
de leurs annonceurs, où se trouve le "contre-pouvoir" qu'ils
sont censés représenter ?
Peut-être sur l'Internet...?
Charlottem.