En Egypte, la victime de viol n'est plus condamnée...
L'article 291 du code pénal égyptien a
été annulé dernièrement. Cette disposition de 1904 permettait à un violeur ou à un
kidnappeur d'échapper à toutes poursuites judiciaires s'il se mariait avec sa victime.
Certains essaient de justifier cette règle absurde, du point de vue de l'ordre social
dans une société encore très conservatrice : une femme violée est considérée comme
déshonorée donc plus mariable. C'est simple comme concept ; c'est comme au supermarché
: si vous abîmez des pots de yaourt, vous êtes censés les acheter car aucun autre
consommateur n'achèterait plein tarif cette marchandise déclassée. Simple et brutal.
Tu es victime ? Ferme ta gueule et tend l'autre joue, c'est pour ton bien, celui de ta
famille et de la société. Je pensais naïvement que la justice, dans le cas de crimes ou
délits, cherchait à punir les coupables et donner réparation aux victimes. A l'inverse,
l'Egypte appliquait un mécanisme assez original : on punit la victime et on laisse au
coupable le produit de sa forfaiture. Un peu comme si, après être cambriolé, on devait
donner un double des clés au cambrioleur. Ou si un voleur de voiture en devenait
légalement propriétaire dès qu'il accepte de payer la vignette fiscale sur celle-ci.
C'est tellement grotesque qu'on pourrait presque en rire. Presque, parce qu'au-delà du
caractère ubuesque de cet article de loi, vous pouvez imaginer le désarroi de ces
femmes. Et le nombre de suicides et vies gâchées. Il faut déjà être courageux pour
oser porter plainte pour viol. Encore plus quand il s'agit d'une société patriarcale et
rétrograde. Et d'autant plus quand on risque de devoir passer sa vie avec son agresseur.
Ou d'être répudié par celui-ci quand son appétit sexuel le poussera vers d'autres
proies plus fraîches.
Comble du sordide, l'article 291 recèle une particularité intéressante : dans le cas
d'un viol collectif, tous les participants bénéficiaient de l'impunité si l'un d'entre
eux épousait la victime. On peut imaginer comment se faisait le choix : l'association de
malfaiteurs à nouveau réunie décidant lequel allait avoir la corvée d'épouser
l'infortunée ou lequel avait été séduit par ses "qualités d'épouse". On
peut même imaginer que se sent humilié le type obligé d'épouser une femme que ses
copains ont sautée !
L'article 291 a été annulé. Mais ce n'était pas une évidence. Ainsi, des députés
ont proposé de seulement rajouter une petite clause : le violeur n'échappe à sa peine
par le mariage que s'il ne répudie pas sa femme pendant au moins un an. Il serait plus
convenable de renvoyer la double-victime chez sa mère avec 2 moutards et une nouvelle
humiliation ? Mieux que les shampooings, ils ont inventé le 3 en 1. Prie dieu et obéis
à ton père et ton mari, ma fille.
Pire, le vice-président du Conseil d'Etat a considéré que, je cite, "lorsque
quelqu'un commet un péché, puis reconnaît qu'il a offensé Dieu, il est bon qu'il
puisse s'amender et demander la miséricorde divine". C'est bizarre, mais je doute
qu'une femme violée abattant son agresseur d'une balle entre les deux yeux puis se
repentant bénéficie de la même mansuétude, Qui a dit 2 poids 2 mesures ?
Assez inattendu, il faut quand même dire que le mufti de la République - un leader
religieux musulman - a sensibilisé l'opinion publique en déclarant nuls et non avenus
ces mariages absurdes, puis en garantissant aux femmes violées le droit d'avorter et de
faire recoudre leur hymen.
Enfin, pour information, quand l'article 291 n'était pas utilisé, le violeur risquait la
peine de mort. Comme quoi, il fallait vraiment être fou pour violer une femme mariée,
alors qu'il est si gratuit de violer une jeune vierge célibataire. :-/
L'article 291 du code pénal égyptien a été annulé dernièrement. Mais au Liban,
l'article 522 du code pénal précise que les poursuites encourues et l'exécution de la
peine sont suspendues si l'auteur d'un viol contracte un mariage régulier avec sa
victime. Restriction : pas de répudiation de Cendrillon ou de divorce au tort du mari
pendant 5 ans. Mieux ou pire ?
Quand je pense que certains disent que l'égalité hommes-femmes est déjà réalisée !
Faut peut-être atterrir. Mais sans doute pas en vacances en Egypte.
Charlottem.
08/1999
Source : Libération du 17/08/1999