Le sexe hors normes
En 1985, la police britannique a mené "l'opération Spanner". Elle a conduit à l'arrestation de 16 hommes ayant pratiqué, pendant 26 ans, le sado-masochisme. Outre l'appétence variable chacun envers ce genre de pratiques (pour les adresses, voir Pendrifter), il est intéressant de réfléchir au contexte dans lequel cette affaire arrive. Elle est encore d'actualité, car les participants ont écopé en appel de peines de 3 mois à 2 ans de prison et ont été déboutés il y a seulement quelques mois par la Cour Européenne de Justice où 3 d'entre eux s'étaient adressés en dernier recours.
Il va bien sûr sans dire que tous ces rapports sexuels ou de domination "ludique" ont eu lieu de plein gré. Aucun participant n'a subi de véritables blessures et encore moins porté plainte. Mais la loi britannique les a pourtant inculpés puis condamnés pour coups et blessures. Et là je reviens sur mon cheval de bataille d'il y a quelques numéros : n'est-ce pas cynique, à une époque où il est si facile et courant d'annihiler un homme économiquement sans aucune sanction (Tapie n'est pas en prison pour les licenciements grand format dans ses entreprises rachetées 1F...) d'emprisonner des hommes pour avoir fait jouir des individus consentants dans un simulacre de domination ?
Les humiliations, on en trouve tous les jours dans la vie sociale et professionnelle. Elles ne sont pas forcément déconnectées du sexuel (harcèlement, promotion canapé), ni entre individus de sexes opposés. Mais elles sont admises par les règles tacites de la société. Voyez seulement comme il est difficile de porter plainte pour harcèlement sexuel ou viol... Quelle belle société, où les Bac+5 peuvent être employés à 1800F par mois avec la bénédiction de l'Etat (ça fait peut-être de plus jolis chiffres de chômage, mais ce n'est pas avec leur pouvoir d'achat qu'ils vont relancer la consommation des ménages) ! Et les Bac-2 ? Ils vont bientôt devoir payer pour travailler ! C'est comme dans la pub Rhône Poulenc : "Bienvenue dans un monde de progrès, un monde où" tout n'est que Luxe, Calme et Volupté (barrez les 3 mentions inutiles). Et Toubon qui rajoute la cerise sur le gâteau à l'Assemblée Nationale : il est, d'après lui, question de favoriser dans le pays les mariages et les naissances afin que la France soit plus forte". Déjà, la relation de cause à effet m'échappe : il n'y a qu'à voir l'Algérie et l'Inde, qui ont de beaux taux de mariages et naissances et prospèrent dans la démocratie et l'égalité, c'est bien connu. Mais en plus, ce n'est pas très incitatif : faîtes un enfant qui n'aura pas de place en crèche, pas de place en Fac (on admet qu'il a résisté à la pollution), pas de place sur le marché du travail (et qu'il a résisté à l'amiante de Jussieu), pas de place en retraite (et aux crises cardiaques, aux accidents de voiture, à la vache folle,...), qui de toute façon sera devenue une légende incroyable pour les enfants, et finalement pas de place dans le caveau familial (vous y serez déjà, merci Cogema). Et si cela signifie que la France manque d'habitants, et bien invitons gaiement nos voisins et transformaons Vitrolles et Toulon en parc d'attraction (avec authentiques lepénistes dans le formol). Mais bon, c'est un autre débat qui demande plus d'ampleur.
Notons quand même que si les rapports sado-masos entraînent des peines de prison de 2 ans en Grande-Bretagne, parallèlement des auteurs d'incestes avérés et répétés pendant des années sur plusieurs enfants peuvent s'en tirer avec 1 seule année de prison, voire un non-lieu. Mais c'est logique : notre belle civilisation tolère, et même encourage, la sodomisation des faibles par les forts. On traite à tort les salauds d'enculés. On devrait dire enculeurs. Mais cette expression est significative : ceux qu'il faut écraser, ce ne sont pas les seigneurs omnipotents, non, ce sont les faibles, ceux qui se font "avoir", "baiser" (donc les femmes et les gays passifs en font partie), "enculer", "entuber", "niquer", etc. (notons au passage : quelle pléthore de synonymes ! ).
Un père qui viole sa fille, tant qu'il n'y a pas de scandale, la famille n'a rien à y redire; on "lave son linge sale en famille", on fait semblant de ne rien voir, et si la victime se rebelle face au poids du tabou, on la culpabilise : "elle n'avait qu'à pas"... Qu'à pas quoi ? Etre jolie, être jeune, être obéissante, être dépendante... ou tout simplement être, exister ? Et la justice, qui réclame des preuves, fait endurer à la victime des examens physiques, des examens psychologiques cyniquement appelés "de crédibilité", des témoignages réitérés des faits où tous les détails doivent être donnés et répétés jusqu'au dégoût. En revanche, lorsqu'un individu extérieur s'attaque à nos enfants ("ils viennent jusque dans nos bras égorger nos fils et nos compagnes..."), alors là, "aux armes citoyens, tatata..."; tout le monde se mobilise contre l'horreur qu'inspire les pédophiles. Et dans le même temps bien peu se mobilisent pour aider les victimes à se reconstruire. Il est bien sûr toujours plus évident de crier avec les loups et de s'atteler à pister un coupable diabolisé (ce qui évite tout risque de se reconnaître en lui), que de se remettre en cause et de s'occuper des victimes ("Mais il est bien connu qu'il ne faut pas faire des gens des assistés, voyons. Ils n'ont qu'à se débrouiller, comme tout le monde.").
Il n'y a pas qu'une fracture sociale dans ce pays, il y a aussi un sacré problème d'échelle et de nuances.
Mygale