Un mur pour pleurer

     

    Je cherche un mur pour pleurer
    Je cherche un mur pour pleurer
    On ne pleure plus, paraît-il
    En un vol, tout, c'est facile
    On ne dit plus rien
    Lorsqu'on vous crache dessus
    On reste serein, la colère
    C'est mal vu

    On est poli, poli
    On tend son cul, merci merci

    Je cherche un mur pour pleurer
    Je cherche un mur pour pleurer
    On ne s'aime plus, paraît-il
    On dit que l'amour est fragile
    On est très moderne,
    On laisse sa liberté
    Mais on fait les poches
    Aussitôt le dos tourné

    On est copain, copain
    On ne se raconte rien, plus rien

    Je cherche un mur pour pleurer
    Je cherche un mur pour pleurer
    On connait tout par le journal
    Mais les mots, ça ne fait pas mal
    On est toujours plus ému
    Par ce qui est loin
    Mais on oublie la détresse
    De son voisin

    On est bistrot, bistrot
    On ne se connait pas trop, pas trop

    Je cherche un mur pour pleurer
    Je cherche un mur pour pleurer
    On mélange les accidents,
    Les princesses et leurs prétendants
    On ne dit plus rien
    Lorsque des enfants ont faim
    Mais on ouvre sa bourse
    Pour sauver des chiens

    On est toutou, toutou
    On a bon coeur, c'est tout, c'est tout

    Je cherche un mur pour pleurer
    Je cherche un mur pour pleurer
    On ne pleure plus, paraît-il
    On rigole, c'est plus facile
    On n'écoute plus
    Les poëtes, les errants
    On leur dit "Taisez-vous,
    Vous n'êtes pas marrants."

    On est télé, télé
    On est si fatigué de penser

    Je cherche un mur pour pleurer
    Je cherche un mur pour pleurer
    On va à la messe, au caté
    Ou bien on bouffe du curé
    Mais on chante en choeur
    Il est né le divin enfant
    On va tous ensemble au muguet
    Quand il est blanc

    On est païen, païen
    Dieu reconnaitra les siens, c'est bien

    Je cherche un mur pour pleurer
    Je cherche un mur pour pleurer
    On est toujours comme on n'est pas
    Un jour c'est triste, un jour ça va
    On essaye bien
    Mais on n'a jamais le temps
    On croit tenir la fleur
    Mais on meurt mécontent

    On est paumé, paumé
    Et si on pouvait s'aimer, s'aimer

    Etre ensemble pour pleurer
    Avoir le temps de pleurer...
     

        Anne Sylvestre, 1973