Ronde Madeleine
C'est pourtant vrai qu'elle est belle,
Mais on ne le dit pas.
Sa beauté n'est pas de celles
Qui font vendre des bas.
Elle est comme un beau navire,
Entoilée largement.
Au moins, quand elle chavire,
C'est qu'il y a du vent.
On la dit pourtant sereine,
Ronde Madeleine,
Ronde, ronde Madeleine,
Ronde qui n'est pas en peine,
Et qui voudrait dire au monde
Que les rondes abondent,
Qu'il en est qui désespèrent
D'être jamais linéaires
Et que la révolte gronde
Chez les rondes, les rondes.
Elle a incurvé sa vie
Autour de sa rondeur,
Elle s'habille de rires
Et de robes à fleurs.
A la mode elle résiste
Et met ce qui lui plaît.
Pourquoi s'habiller de triste
Quand on a le coeur gai ?
Ce n'est pas ça qui la gêne,
Ronde Madeleine,
Ronde, ronde Madeleine,
Ronde qui n'est pas en peine,
Et qui voudrait deux secondes
Que le monde réponde,
Qu'enfin on écoute celles
Qui ne sont pas irréelles,
Et que souffle un vent de fronde
Chez les rondes, les rondes.
Quand elle se met à table,
C'est pour mieux partager
Le plaisir irremplaçable
De se savoir aimée.
Elle cueille la tendresse
Et la donne à manger.
Dans un monde qui vous blesse
Il faut se protéger.
C'est le bonheur qui la mène,
Ronde Madeleine,
Ronde, ronde Madeleine,
Ronde qui n'est pas en peine
Et qui voudrait que les rondes
Dévergondent le monde,
Qu'on veuille enfin reconnaître
Qu'on a le droit d'apparaître
Dans sa nature profonde,
Même les rondes, les rondes.
Je ne crois pas qu'elle ignore
Tous les mauvais plaisants,
Tous ceux qui se déshonorent
En propos méprisants.
Non, mais elle a mieux à faire :
Une vie, c'est si court.
Faut la vivre tout entière
Et sans faire un détour.
Elle aura rempli la sienne, ronde Madeleine,
Ronde, ronde Madeleine,
Ronde qui n'est pas en peine,
Et qui voudrait que les rondes
Refondent le monde
Puisqu' enfin, ça se devine
Elles sont à l'origine,
Et que même la terre est ronde,
Elle est ronde, elle est ronde.
Elle est ronde, elle est ronde.
Anne Sylvestre, 1978