Roméo et Judith
     
    Je vois que ton regard m'évite
    Tu ne me réponds pas Judith
    Quel est cet
    orage soudain
    Alors que nous étions si bien
    Je sens s'élever la barrière
    Qui si souvent me désespère
    Nous avons tant pleuré déjà
    Quand nous ne le méritions pas

    Oh n'attise pas ce chagrin
    Qu'ai-je fait pour que sous ma main
    La tienne fuie et me résiste
    A quoi nous sert d'être aussi tristes
    Je voudrais penser à demain

    Oh
    Tu ne comprends pas Roméo
    J'ai la tristesse sous la peau
    Le sang de mon peuple s'indigne
    Et je ne peux pas oublier
    Que tu descends en droite ligne
    De ceux qui l'ont persécuté
    Mon amour me semble parjure
    Et je sens bien que la blessure
    Ne guérira pas de sitôt
    Pardon si je te semble dure
    Je ne pourrai pas Roméo

    Cette peine que tu abrites
    Je la partage tant Judith
    J'ai souffert du mauvais côté
    Dans mon enfance dévastée
    Mais dois-je me sentir coupable
    Et ce qui fut impardonnable
    Et que je ne pardonne pas
    Pourquoi le rejeter sur moi
    Je veux bien prendre les remords
    Et si nous échangions nos morts
    Sur moi la honte s'accumule
    Le sang que je porte me brûle
    Je ne peux me l'ôter du corps

    Oh
    Tu ne pourras pas Roméo
    Faire que le sang de l'agneau
    A tout jamais ne rejaillisse
    Sur le loup et sur sa tribu
    Avant que ce sang refroidisse
    Il faudra des siècles de plus
    Les miens ne pourraient pas entendre
    Ce que ton discours a de tendre
    Ils seraient blessés par les mots
    Bien avant que de les comprendre
    Je t'aime pourtant Roméo

    Les souvenirs que tu agites
    Je les connais si bien Judith
    Même s'il me semble parfois
    Qu'on ne m'en laisse pas le droit
    Je sais qu'il faut qu'on se souvienne
    Mais ce qui pousse sur la haine
    Pousse dans un mauvais terreau
    L'histoire ne le dit que trop
    Va si tu m'aimes n'aie pas peur
    De trahir ta juste douleur
    Empêchons que ça recommence

    Je ne suis loup que de naissance
    Je ne le suis pas dans le cœur

    Oh
    Je veux essayer Roméo
    De ne pas laisser le fardeau
    De cette peine qui remonte
    M'empêcher de te secourir
    T'aider à porter cette honte
    Et tâcher de ne plus souffrir
    Et si l'amour entre deux êtres
    N'arrive pas à faire naître
    L'espérance d'un renouveau
    Nous n'avons plus qu'à disparaître
    Et je veux vivre Roméo.

     

        Anne Sylvestre, 1994