La prière

     

    Par le petit garçon qui meurt près de sa mère
    Tandis que des enfants s'amusent au parterre
    Et par l'oiseau blessé qui ne sait pas comment
    Son aile tout à coup s'ensanglante et descend
    Par la soif et la faim et le délire ardent :
    Je vous salue, Marie

    Par les gosses battus par l'ivrogne qui rentre,
    Par l'âne qui reçoit des coup de pied au ventre
    Et par l'humiliation de l'innocent châtié,
    Par la vierge vendue qu'on a déshabillée,
    Par le fils dont la mère a été insultée :
    Je vous salue, Marie.

    Par la vieille qui, trébuchant sous trop de poids,
    S'écrie: " Mon Dieu ! " Par le malheureux dont les bras
    Ne purent s'appuyer sur une amour humaine
    Comme la Croix du Fils sur Simon de Cyrène;
    Par le cheval tombé sous le chariot qu'il traîne :
    Je vous salue, Marie.

    Par les quatre horizons qui crucifient le Monde,
    Par tous ceux dont la chair se déchire ou succombe,
    Par ceux qui sont sans pieds, par ceux qui sont sans mains,
    Par le malade que l'on opère et qui geint
    Et par le juste mis au rang des assassins :
    Je vous salue, Marie.

    Par la mère apprenant que son fils est guéri,
    Par l'oiseau rappelant l'oiseau tombé du nid,
    Par l'herbe qui a soif et recueille l'ondée,
    Par le baiser perdu par l'amour redonné,
    Et par le mendiant retrouvant sa monnaie :
    Je vous salue, Marie.

    Par l'âne et par le boeuf, par l'ombre de la paille,
    Par la pauvresse à qui l'on dit qu'elle s'en aille,
    Par les nativités qui n'auront sur leurs tombes
    Que les bouquets de givre aux ailes de colombe
    Par la vertu qui lutte et celle qui succombe :
    Je vous salue, Marie.
     

          Francis Jammes, chanté par Georges Brassens