L'Histoire de Jeanne-Marie
     
      Certains de vous se la rappellent
      Elle ne tranchait pas beaucoup
      Au milieu des plus ou moins belles
      Ne l'étant presque pas du tout
      Sa laideur lui fût une chance
      Lui laissa le temps d'exister
      Quand poussa son intelligence
      Elle était prête à récolter
      Elle était prête à récolter
       

      On a pu dire, on a pu croire
      De médisances en calomnies
      On a pas oublié l'histoire
      L'histoire de Jeanne-Marie
       

      Sa sûreté de bonne élève
      Lui valu des inimitiés
      Elle économisait ses rêves
      Ele les mettaient de côté
      Elle fauchait les excellences
      Comme le paysan le blé
      Mettant en grange sa science
      Pour la faire un jour prospérer
      Pour la faire un jour prospérer
       

      On a pu dire, on a pu croire
      De médisances en calomnies
      On a pas oublié l'histoire
      L'histoire de Jeanne-Marie
       

      De tout ce qu'on enseigne aux filles
      Elle s'acquittait pour le mieux
      Montrant pour les travaux d'aiguille
      Un don presque miraculeux
      Son linge était d'un blanc d'hermine
      repassé comme par magie
      Que dire enfin de sa cuisine ?
      Ça frisait la sorcellerie
      Ça frisait la sorcellerie

      On a pu dire, on a pu croire
      De médisances en calomnies
      On a pas oublié l'histoire
      L'histoire de Jeanne-Marie

      Quand on eu pesé ses mérites
      On pensa, les vieilles surtout,
      Qu'il était grand temps qu'elle abrite
      Quelques marmots dans ses dessous
      Que tant de vertu ménagère
      N'devait pas être à l'abandon
      Et qu'elle oublierait ses chimères
      Dans le lit d'un brave garçon
      Dans le lit d'un brave garçon
       

      On a pu dire, on a pu croire
      De médisances en calomnies
      On a pas oublié l'histoire
      L'histoire de Jeanne-Marie
       

      Tranquillement elle fit face
      Et refusa tous les partis
      Dites-leur de ma part qu'ils fassent
      Par une autre chauffer leur lit
      Ils m'offrent un sentiment tiède
      Contre le travail de mes bras
      Dieu sait que si j'étais moins laide
      J'aurais pas besoin de tout ça
      J'aurais pas besoin de tout ça
       

      On a pu dire, on a pu croire
      De médisances en calomnies
      On a pas oublié l'histoire
      L'histoire de Jeanne-Marie
       

      Ça me plairait pas d'être pute
      Pas plus qu'entrer en religion
      Non que l'ouvrage me rebute
      Mais il y faut une raison
      Et dites le bien à vos hommes
      Qu'ils ne viennent jamais frapper
      De n'appartenir à personne
      M'empêchera pas d'exister
      Je ne veux pas la charité
       

      On pourra dire, on pourra croire
      De médisances en calomnies
      Elle est pas terminée l'histoire
      L'histoire de Jeanne-Marie
       

            Anne Sylvestre, 1977