Eléonore
     
    Je vous ai vus courir les filles
    Quand le printemps poussait en vous,
    Revenir le coeur en guenilles
    D'avoir cueilli la fleur de houx.
    Je vous ai vus les beaux dimanches
    Pavoiser dessous les lampions
    Mais qui vous retînt par la manche
    Quand vous baissâtes pavillon ?

    Refrain :
    Oui c'est moi, c'est Eléonore,
    Eléonore,
    Avec un coeur qui est si vaste encore,
    Eléonore.

    Je vous ai vus, dans les venelles,
    Courir à quelque rendez-vous,
    Connaissant bien la ritournelle
    Que chanterait chacun de vous
    Mais quand la belle était volage
    Et vous laissait sur votre faim,
    Qui vous servit de pâturage
    Et vous offrit ses douces mains ?

    Refrain

    Je vous ai vus pleurer, messires,
    Tête posée sur mes genoux.
    J'ai ranimé votre sourire
    Avec cette confiance en vous,
    Et le dimanche et la semaine
    Vous étiez mon calendrier.
    Je vous aimais, j'étais sereine,
    Porte ouverte, et vous le saviez.

    Refrain

    Je vous ai vus l'un après l'autre
    Déguisés en jolis mariés,
    Mais je suis pourtant restée vôtre,
    Seule manière d'oublier.
    Lors je vis à l'écart, en butte
    A mille et une méchancetés.
    Vos épouses me persécutent
    Et vous... vous me tyrannisez.

    Moi, je reste Eléonore,
    Eléonore,
    Et mon coeur est plus vaste encore,
    Eléonore.

        Anne Sylvestre, 1962