Ces dames, et les quelques messieurs rescapés, ont bon pied, bon œil, du caractère et beaucoup d'amour-propre. Ils semblent relativement heureux... et c'est bien la moindre des choses : ils ont un vrai restaurant, du personnel dévoué en grand nombre, une poste, un coiffeur, une bibliothèque, une épicerie, une piscine, un centre de soins et chacun une maison spacieuse. Ces personnes âgées sont très entourées, entre autres par leurs enfants. Mais au prix de ce Club Med, on imagine combien les vieux ont dû thésauriser en Sicav...
Une dame dit que les gens s'attristaient de la savoir partir en maison de retraite, mais qu'elle les rassurait en leur expliquant que ce n'était plus comme avant. Si si, c'est tout à fait comme avant : les vieux richards, même avec un caractère impossible, ont de tout temps trouvé des jeunes gens corvéables à merci, alors que les vieux méritants mais pauvres ont toutes les chances de devoir attendre l'arrivée au Paradis pour être récompensés de leur vie de labeur et de finir leurs jours dans un mouroir pour vieux qui pue l'urine. Le pire étant le cas des femmes de commerçants, d'artisans ou d'agriculteurs qui ont généralement trimé toute leur vie sans jamais être déclarées à l'Urssaf, et qui ne touchent pas de retraite mais la seule pension de réversion des veuves, si tant est qu'elles étaient officiellement mariées.
Chez la Dumas, on filme à Saint Rémy, et les aïeux paient 15000F le loyer+les activités pour un couple. C'est vrai que ce n'est pas énormément plus cher qu'une maison de retraite traditionnelle, mais le restaurant n'est pas inclus. D'accord, ça ne mange plus beaucoup à cet âge-là, mais c'est capricieux, comme le rappelle la blague du vieux qui se plaint des repas de maisons de retraite : "C'est pas bon, et c'est même pas copieux." Au résultat, en comptant les repas et les verveines au piano bar (parce qu'en plus, ça traîne dans les bars! A cet âge-là!), cela fait 19000F par mois pour deux, et encore sans la voiture que beaucoup possèdent, le coiffeur, les magasins de "nouveautés de Paris", et autres plaisirs. 19000F pour un couple sans enfants... Rappelez-moi le montant du RMI pour un duo?.3027,77F. Eh oui. Donc il faut plus de 6 RMI pour vivre dans ce Club Old Med. Et je vous fais grâce de la comparaison avec le SMIC!
Je pense que je ne vous étonnerai pas si je vous fait le portrait des rejetons : les fils ressemblent à des aristos poussiéreux et leurs femelles sont d'authentiques Marie-Chantal. Si vous n'avez pas vu ce reportage publicitaire, je dois quand même vous préciser que c'est la totale : coupe au carré et serre-tête ou catogan à noeunoeuds, cardigan et collier de perles, le pire étant l'accent : vieux lord désabusé pour le fils et Sup de Co en mission pour la petite-pimbêche. Et puis les veuves, elles ne pleurent pas un éboueur. Non, elles ont eu l'intelligence économique de choisir un conjoint médecin ou ingénieur. Cela dit, un élément m'a étonné : la présence de plusieurs "mères célibataires" comme on les appelle (quand ce n'est pas avec une troublante ambivalence "filles mères"). Elles disent avoir sacrifié sans remords leur vie de femme à leur vie de mère et de travailleuse. Mais quand on les entends parler des hommes, on sent qu'elles ne se sont pas vraiment privées, et elles-mêmes avouent avoir joui de leur liberté. Il faut rappeler au passage que jusqu'aux années 60 les françaises n'avaient pas le droit de travailler, d'ouvrir un compte en banque ou de disposer de leur paye sans la permission de leur mari!
En fait, et je parle des pensionnaires dans leur ensemble, si certains semblent attentifs aux autres et justifient leur départ par une volonté de ne pas être une charge pour leur famille, d'autres apparaissent assez égoïstes. En effet, ils ont choisi l'asile d'un palace pour échapper à la société : un couple craignait les agressions, une vieille harpie se vantait de pouvoir raccrocher le téléphone au nez de son fils unique, une autre se réjouissait de n'avoir ni ménage ni cuisine à faire et faisait venir une jeune femme pour déplacer son bureau de 10 centimètres. A l'opposé d'une grande dame comme Barbara qui savait s'investir dans des sujets contemporains et transcendait sa solitude pour venir en aide aux malades du Sida et visiter prisons et hôpitaux, ces vieilles chouettes se plaisaient à se réfugier dans un cocon rassurant bien qu'ennuyeux. Ce qui prouve bien que si certains ont l'âge de leurs artères, d'autres ont l'âge de leur cœur.